LʼEgypte mʼa conduit à faire un travail complètement dévié par rapport à ce que je voulais faire.
Je suis partie au Caire en décembre 2018 avec lʼintention de réaliser des entretiens et des photos avec de jeunes égyptiens sept ans après la révolution.
La situation dans le pays nʼa pas permis que je réalise les photos que jʼenvisageais de faire, en effet les nouvelles mesures gouvernementales empêchent tout accès aux universités, pensionnats, foyers.
« La population est soumise à une surveillance et une répression féroce, elle est prête à tous les sacrifices », « la peur est finalement plus forte que la faim », je cite ici le papier du journal Libération du 27 janvier 2019 dont lʼuniversitaire qui parle demande à taire son nom. Jʼai eu de nombreuses mises en garde de ne pas photographier dans la rue. Le ressenti était le même.
Cela résume le climat dans lequel jʼai travaillé, retrouvé certains jeunes filmés en 2012 et qui mʼont demandé de taire ce quʼils me confiaient. Je ne les ai bien sûr pas filmés ni photographiés. Jʼai dû chercher une autre entrée possible pour parler de la jeunesse en Egypte et avancer malgré tout dans cette situation.
Cʼest finalement à travers lʼAfrique que jʼai pu tenter dʼentamer un dialogue, et cʼest dans ce contexte que jʼai réalisé ces entretiens filmés en décembre 2018 à lʼUniversité Senghor dʼAlexandrie. Université francophone internationale, dédiée au développement africain.
Situation paradoxale dʼune femme blanche qui interroge de jeunes adultes noirs alors quʼelle est venue en terre arabe à la rencontre dʼadolescents.
Situation étrange dans ce monde clos, et dans cette ville dʼEgypte au bord de la Méditerranée.
Les étudiants de lʼUniversité Senghor que jʼai rencontrés sont recrutés par concours: une épreuve écrite puis une admissibilité à lʼoral. Le concours est sélectif puisquʼun dixième réussit lʼadmission. Ils sont destinés à être les élites de leurs pays. Ce sont des gens qui veulent sʼen sortir, ils sʼen sont déjà sortis parce quʼils ont déjà un métier et la plupart sont fonctionnaires dʼEtat.
Jʼai avec eux inventé un dispositif dʼéchange, une façon de parler sur la vie, les égyptiens, lʼAfrique, les gilets jaunes, la Francophonie…
Ce ne sont pas des photos mais des entretiens filmés qui ressortent de cette rencontre.
Anne-Marie Filaire
Paris, mars 2019