Sortir de soi, pousser la porte: “Zone de sécurité temporaire” d’Anne-Marie Filaire

 

 

Où il sera question de portes ouvertes, fermés, verrouillés, d’isolements, de sorties de soi, de Retour sur soi, des banlieues oubliés, de l’évolution des société du monde arabe, de l’odeur de l’argent.

C’est un passage, une transition. Entre le dedans et le dehors. Entre le silence et la parole. Se demander en marchant, de quel côté faire sa route. Comment se positionner. Et grandir, avancer en zone de sécurité temporaire. C’est l’image d’une porte, et par définition, ça ne permet pas l’ambiguité.” Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée“, selon le titre d’Alfred de Musset. C’est le lieu d’un choix, de ce que l’on fait de ce lieu de passage. Anne-Marie Filaire a photographié des portes au Caire, à Alexandrie et à Alger. Elle a interrogé ces portes ce qu’il y a derrière, elle a interrogé les espoirs de ceux qui les poussent qui les ferment, leur envie de saisir la poignée, de maîtriser leur sortie. Ce sont des portes lourdes en métal, des doubles portes, elle sont parfois doublées d’un grillage épais en fonte, elles arborent parfois des verrous incontournables, insurmontables. Il y a par exemple, derrière un lourd grillage, une porte sombre résolument fermée, et les mots de Siham à Alger en 2012, qui dit ne pas savoir ce qu’elle fuyait mais elle fuyait de manière sûre. Ne pas avoir envie de parler. Une frontière à soi. C’est au Caire une porte étroite noire, avec une ouverture rectangulaire comme celle d’une cellule. Mohab raconte en 2012 qu’il est resté chez lui ce 25 janvier 2011 à regarder avec son père, à la télévision, ce rassemblement sur la Place Tahrir. Un moment plein de questions soudaines, l’avenir qui s’ouvre, pour les téléspectateurs qu’ils étaient à deux pas du théâtre de la Révolution. Entre espoir et immobilisme. La porte qui nous sépare de l’action, de la vie, dehors. Et pourtant dans le livre de photos d’Anne-Marie Filaire, Zone de sécurité temporaire qui paraît aujourd’hui aux éditions Textuels, les portes n’occupent que quelques pages à la fin. Il y a surtout de grandes étendues désertes à pertes de vue. Des espaces de calme et de silence, juste avant le mur. Juste avant le passage d’une terre à une autre, d’une parole à une autre, d’un monde à un autre. “Comment faites-vous pour vivre avec cet empêchement” demande Anne-Marie Filaire à Hakim l’algérois, qui lui répond par l’impossibilité. Celle de se battre. D’envisager le bout du tunnel. Celle de vivre l’autre monde imaginé, en liberté et donc, de préférer choisir soi-même comment s’enfermer. Choisir soi-même le moment et la manière de faire sauter les verrous et de se libérer.